lunes, 31 de diciembre de 2012

El barco ebrio y otros poemas








Sensation 


Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme. 
















Ofelia



I

En el agua calma y negra donde duermen  las estrellas
la blanca Ofelia flota como un gran lirio,
flota muy lentamente, tendida en sus largos velos…
–En el bosque lejano se oye el toque de muerte.

Hace más de mil años que la triste Ofelia
pasa, fantasma blanco, por el largo río negro,
hace más de mil años que su dulce locura,
a la brisa de la noche, murmura romance.

El viento besa sus senos y despliega en corola
sus largos velos ligeramente mecidos por las aguas;
los sauces trémulos lloran en sus hombros,
los juncos se inclinan sobre su gran frente soñadora.

Los nenúfares ondulados suspiran a su alrededor;
ella despierta a veces, en un aliso que duerme,
algún nido del que se escapa un trémulo batir de alas:
–un canto misterioso cae de los astros de oro.

II

¡Oh, pálida Ofelia! ¡Hermosa como la nieve!
¡Sí, moriste, niña, arrebatada por un río!
–¡Y es que los vientos nacidos en las altas cimas de Noruega
te hablaron bajito de la ruda libertad;

que un soplo, retorciendo tu grandiosa cabellera,
a tu espíritu soñador llevaba extraños ruidos;
que tu corazón escuchaba el canto de la Naturaleza
en los quejidos del árbol y los suspiros de las noches;

que la voz de los enloquecidos mares, inmenso estertor,
quebraba tu pecho de niña, demasiado humano y demasiado frágil;
que una mañana de abril, un hermoso caballero pálido,
un pobre loco, enmudecido se sentó a tus pies!

¡Cielo! ¡Amor! ¡Libertad! ¡Qué sueño, oh pobre Loca!
Te fundías en él como nieve en el fuego;
tus grandes visiones sofocaban tu voz,
–¡y el temible Infinito espantó tu mirada azul!

III

–Y el poeta dice que bajo los rayos de las estrellas
vienes a buscar, por la noche, las flores que cortaste;
y que ha visto sobre el agua, tendida en sus largos velos,
a la blanca Ofelia flotar, como un gran lirio.



Ophèlie


I

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

II

Ô pâle Ophélia! belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
–C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits,
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux!

Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l’Infini terrible effara ton oeil bleu !

III

- Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.





MA BOHÊME


Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
— Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !











El barco ebrio
(Fragmento)


Cuando iba bajando por los impasibles Ríos,
sentí que ya no me guiaban los sirgadores:
unos Pieles-Rojas gritones los habían tomado por diana
tras clavarlos desnudos en postes de colores.

Carguero de trigo flamenco o de algodón inglés,
todas las tripulaciones me eran indiferentes.
Cuando aquel alboroto acabó con mis sirgadores,
los Ríos me dejaron ir adonde yo quería.

El pasado invierno, yo, más sordo que el cerebro de un niño,
¡corrí por las furiosas corrientes de las mareas!,
y las Penínsulas, por el mar desgajadas,
no han conocido caos más triunfal.

La tempestad bendijo mis desvelos marítimos.
¡Diez noches bailé, más ligero que un tapón de corcho,
sobre el oleaje, al que llaman eterno embrollador
de víctimas, sin añorar el necio ojo de los faros!

El agua verde, más dulce que las manzanas ácidas
para los niños, penetró mi casco de abeto,
y me lavó las manchas de vinos azules
y los vómitos, dispersando el ancla y el timón.

Y desde entonces, devorando verdeazules,
me he bañado en el Poema del Mar, infundido
de astros, lactescente, donde a veces desciende,
con flotación pálida y alegre, un ahogado pensativo;

donde fermentan los amargos rubores del amor,
¡más fuertes que el alcohol, más vastos que nuestras liras!,
tiñendo de pronto los azules, los delirios
y los ritmos lentos bajo las rutilancias del día.

[...]
 (Copia de Verlaine)

Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
[...]



Vagabundos


¡Miserable hermano! ¡Cuantas atroces vigilias le debo! "No emprendía este proyecto con fervor. Me había mofado de su fragilidad. Por mi culpa regresaríamos al exilio, a la esclavitud." Él me atribuía una desdicha y una inocencia muy extrañas, y añadía argumentos inquietantes.
 . . . . Yo respondía con una risa sardónica a ese satánico doctor, y acababa por acercarme a la ventana. Más allá del campo recorrido por bandas de música singular, creaba los fantasmas del futuro lujo nocturno.
 . . . . Tras esa distracción vagamente higiénica, me tendía en un jergón. Y, casi todas las noches, tan pronto me dormía, el pobre hermano se levantaba, la boca podrida, los ojos arrancados, –¡tal como él soñaba!– y me arrastraba hasta la sala gritando su sueño de tristeza idiota.
 . . . . Me había pues comprometido, con toda sinceridad de espíritu, a restituirlo a su estado primitivo de hijo del Sol, –y errábamos alimentados con el vino de las fuentes y con el pan seco del camino, apremiado yo por encontrar el lugar y la fórmula.



Vagabonds


  Pitoyable frère ! Que d'atroces veillées je lui dus ! "Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m'étais joué de son infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage." Il me supposait un guignon et une innocence très bizarres, et il ajoutait des raisons inquiétantes.
 Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par-delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
 Après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, — tel qu'il se rêvait — et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
 J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du Soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule.





Marina


Los carros de plata y de cobre,
las proas de acero y de plata
baten la espuma,
Levantan las cepas de las zarzas.
Las corrientes de la landa,
y los surcos inmensos del reflujo,
huyen circularmente hacia el este,
hacia los pilares del bosque,
hacia los fustes del dique,
contra cuyo ángulo chocan torbellinos de luz.



Marine


Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.











Genio

Él es el afecto y el presente puesto que ha concebido la casa abierta al invierno espumoso y al rumor del verano, él, que ha purificado las bebidas y los alimentos, él, encanto de los lugares fugaces y delicia sobrehumana de las estaciones. Es el afecto y el porvenir, la fuerza y el amor que nosotros, de pie entre rabias y hastíos, vemos pasar por el cielo tempestuoso y las banderas de éxtasis.
 . . . . Él es el amor, medida perfecta y reinventada, razón maravillosa e imprevista, y es la eternidad: máquina amada de cualidades fatales. Todos hemos sufrido el espanto de su entrega y de la nuestra: ¡oh! deleite de nuestra salud, impulso de nuestras facultades, afecto egoísta y pasión por él, él que nos ama por toda su vida infinita...
 . . . . Y lo recordamos y él viaja... Y si la Adoración se marcha, suena, su promesa suena:"Atrás esas supersticiones, esos antiguos cuerpos, esos amores divinos y esas edades. Esta época es la que ha naufragado!".
 . . . . Él no se marchará, no descenderá de nuevo de un cielo, no consumará la redención de las cóleras de mujeres y de los regocijos de los hombres y de todo ese pecado: pues todo está ya hecho, con existir él y ser amado.
 . . . . ¡Oh sus soplos, sus cabezas, sus carreras: la terrible celeridad de la perfección de las formas y de la acción!
 . . . . ¡Oh fecundidad del espíritu e inmensidad del universo!
 . . . . ¡Su cuerpo! Liberación soñada, quebrantamiento de la gracia atravesada por una violencia nueva!
 . . . . ¡Su presencia, su presencia! Todas las genuflexiones antiguas y las penas levantadas a su paso.
 . . . . ¡Su luz!, abolición de todos los sufrimientos sonoros y móviles en la música más intensa.
 . . . . ¡Su paso! Migraciones más enormes que las antiguas invasiones.
 . . . . ¡Oh, Él y nosotros! Orgullo más benévolo que las caridades perdidas.
 . . . . ¡Oh mundo! ¡Y el canto claro de las desgracias nuevas!
 . . . . Él nos conoció a todos y a todos nos amó. Sepamos, esta noche de invierno, de cabo a cabo, desde el polo tumultuoso hasta el castillo, desde el gentío hasta la playa, de mirada en mirada, fuerzas y sentimientos cansados, llamarlo y verlo, y despedirlo, y, bajo las mareas y en lo alto de los desiertos de nieve, seguir sus designios, sus soplos, su cuerpo, su luz.

Génie
Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été, lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qu’est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. Il est l’affection et l’avenir, la force et l’amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d’extase.
Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l’éternité: machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l’épouvante de sa concession et de la nétre: ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie…
Et nous nous le rappelons et il voyage… Et si l’Adoration s’en va, sonne, sa promesse, sonne: "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C’est cette époque-ci qui a sombré!"
Il ne s’en ira pas, il ne redescendra pas d’un ciel, il n’accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché: car c’est fait, lui étant, et étant aimé.
O ses souffles, ses têtes, ses courses: la terrible célérité de la perfection des formes et de l’action.
O fécondité de l’esprit et immensité de l’univers!
Son corps! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle!
Sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les peines relevées à sa suite.
Son jour! l’abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
O Lui et nous! l’orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
O monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!
Il nous a connu tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et, sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses soufflesson corps, son jour.


Arthur Rimbaud
De: El barco ebrio y otros poemas, Ilustraciones: Alicia Martínez, Traducción: Carmen Morales & Claude Dubois, Nordica Libros, Madrid 2010


scribd: arthur rimbaud: una temporada en el infierno/ iluminaciones/ cartas del vidente